Contrefaçon de brevet : choisir (son mode d’indemnisation), c’est renoncer (à l’autre)
Publié le 25th May 2021
Les sociétés Décathlon France (distributeur) et Knauer (fabricant allemand) avaient été assignées en 2012 par la société Time Sport, qui leur reprochait d’avoir contrefait son brevet portant sur la « fixation occipitale » d’un casque de vélo.
10 ans plus tard, et après une quinzaine de jugements et arrêts intermédiaires, la Cour de cassation s’est récemment prononcée sur les modalités d’indemnisation du breveté. Elle casse ainsi l’arrêt d’appel, estimant que les magistrats de la Cour d’appel de Paris étaient allés à l’encontre de la demande de Time Sport à cet égard.
La réparation du préjudice est au choix du breveté…
Au titre de l’article L. 615-7 du Code de la propriété intellectuelle (« CPI »), les dommages et intérêts peuvent être calculés par les juges de deux manières :
- par principe (alinéa 1) : ils sont calculés par rapport au triptyque composé (i) des « conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée », (ii) du « préjudice moral » et (iii) des « bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon ».
- à titre d'alternative et sur demande expresse de la partie lésée (alinéa 2) : de manière plus marginale, ils peuvent être constitués d’une somme forfaitaire, laquelle doit toutefois être supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit contrefait (on parle alors de « redevance majorée ») à laquelle peut s’ajouter l'indemnisation du préjudice moral.
En l’espèce, après qu’une expertise avait été ordonné en 2014 pour évaluer le préjudice, Time Sport avait réclamé à la société Knauer, en réparation des actes de contrefaçon de son brevet, et au titre des bénéfices réalisés par elle, la somme de 1.754.453 euros.
Toutefois, dans la mesure où cette somme avait été estimée par l'expert sur la base d’un taux de marge brute identique à celui de la société Décathlon France (alors que les sociétés Knauer et Décathlon France n’ont pas la même activité, l’un étant fabricant, l’autre distributeur), la Cour d’appel avait considéré qu’elle ne pouvait correspondre au bénéfice effectivement réalisé par la société Knauer.
En conséquence, la Cour d’appel avait pris l’initiative de « forcer » l’application de l’alternative précitée, c’est-à-dire la « redevance majorée » que la société Time Sport aurait pu percevoir si la société Knauer avait été son licencié. La Cour avait donc alloué à Time Sport la somme de 28.620,90 euros, représentant une redevance égale à 6% du chiffre d’affaires réalisés par Time Sport sur la période concernée.
Time Sport, qui s’était ainsi vue allouer des dommages-intérêts 60 fois inférieurs à ceux demandés à la société Knauer, a donc saisi la Cour de cassation, puisqu’elle avait clairement demandé à la Cour d’appel que ses dommages-intérêts soient évalués en considération des bénéfices réalisés par la société Knauer, et non sur la base d’une redevance majorée.
La Cour de cassation censure ainsi l’arrêt : en ne prenant pas en considération la demande d'indemnisation de Time Sport, fondée sur l'un des critères d'évaluation expressément prévu, à titre alternatif, par l'article L. 615-7 du CPI, la Cour d'appel a violé ce dernier (par refus d’application de l’alinéa 1 et fausse application de l’alinéa 2).
…Un choix qui s’impose donc au juge
Cet arrêt permet de mettre en lumière l’importance de la volonté exprimée par le breveté lorsqu’il cherche à obtenir l’indemnisation de la contrefaçon qu’il a subie.
En effet, l’article L. 615-7 CPI offre bien une alternative au breveté de fonder le montant de l’indemnisation due par le contrefacteur de brevet, uniquement à sa demande expresse. Le juge ne peut pas choisir à la place du breveté.
Et ce, quand bien même le montant demandé par la partie lésée ne correspondrait pas réellement aux bénéfices réalisés par le contrefacteur (puisqu’en l’espèce l’application d’un taux de marge identique pour un distributeur et un fabricant ne paraissait pas dictée par les faits).
Cet arrêt rappelle ainsi l’importance de faire des simulations de calcul de l’indemnisation sur la base des deux méthodologies avant d’introduire une action au fond afin de solliciter la plus favorable, car c’est bien la méthode choisie qui sera appliquée par le juge.
Liens vers les décisions : Cour de cassation, ch. com., 17 mars 2021, B 17-28.221 et Y 18-19.206 (Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 22 septembre 2017, n° 16/14377)