Banking and finance

Mise en perspective de la mise en garde du public des régulateurs financiers de l’Union européenne contre les risques liés aux crypto-actifs avec le cadre français applicable

Publié le 29th Mar 2022

L’Autorité bancaire européenne (« ABE ») , l’Autorité européenne des marchés financiers (« AEMF ») et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (« AEAPP ») (Autorités européennes de supervision) (« AES ») ont publié une mise en garde du public s’agissant des risques liés aux cryptoactifs le jeudi 17 mars 2022. Cette mise en garde est la conséquence d’un investissement et d’un engouement de plus en plus important de la part de particuliers et du constat de certaines pratiques dangereuses de la part de certains acteurs du marché intervenant au sein de l’Union européenne.

I. Contenu de la mise en garde des AES ? 

Il convient, tout d’abord, de souligner que cette mise en garde vise les investisseurs particuliers. Les AES insistent ainsi sur le fait que les cryptoactifs sont très risqués et spéculatifs. Ces Autorités soulignent que les cryptoactifs ne sont pas adaptés à la plupart des investisseurs de détail en tant qu’investissement ou en tant que moyen de paiement ou d’échange. Le risque de perte et certaines dérives observées s’agissant de la communication effectuée par certains acteurs du secteur ou encore sur les recommandations effectuées par le biais de réseaux sociaux ou d’influenceurs sont mises en exergue. 

Dans ce contexte, les AES s’adressent ainsi directement aux investisseurs particuliers, en les mettant en garde, de manière pédagogique, sur les principaux risques. Ils dressent également une liste des principales questions à se poser en amont d’un investissement, tel que par exemple : « pouvez-vous vous permettre de perdre tout l’argent que vous investissez? ».

Enfin, les AES détaillent et explicitent de manière approfondie les différents risques résultant des investissements en cryptoactifs. Il s’agit des risques suivants : 

  • variations extrêmes des prix ; 
  • informations trompeuses ; 
  • absence de protection ; 
  • complexité du produit ; 
  • fraude et activités malveillantes ; 
  • manipulation de marché, manque de transparence des prix et faible liquidité ; 
  • piratage, risques opérationnels et questions de sécurité. 

 

II. Sur la protection des investisseurs en cryptoactifs en droit français

La mise en garde des AES résulte de l’observation de certaines dérives. Bien qu’il n’est pas niable que certains acteurs du secteur des cryptoactifs agissant en Europe ont des pratiques pouvant mettre en péril les intérêts des investisseurs particuliers, il est important de souligner que le droit français a mis en place un régime protecteur de ces mêmes intérêts.

Le statut de prestataire de services sur actifs numériques (« PSAN ») existe en droit français, depuis 2019, prévoyant ainsi certaines règles de protection des actifs numériques (1.). L’information à destination des investisseurs est encadrée (2.), tout comme les publicités portant sur des actifs numériques (3.). 

1. Le statut de PSAN et les règles de protection des actifs numériques

Le régime des PSAN a été instauré par la loi PACTE en 2019. Ce statut concerne les prestataires de services, qui fournissent certains services sur actifs numériques1. Cette loi a ainsi créé une obligation d’enregistrement de PSAN exerçant certaines activités, incluant notamment la conservation d’actifs numériques.

A ce titre, le service de conservation d’actifs numériques requiert la mise en place de mesures de protection desdits actifs numériques. Le Règlement général de l’AMF (« RGAMF ») vient ainsi imposer des exigences relatives à la protection des actifs, telles qu’une obligation de ségrégation, l’interdiction d’utilisation des actifs numériques du client ainsi qu’une obligation de restitution.

En outre, la communication des PSAN est strictement encadrée afin de protéger les intérêts des consommateurs.

2. Une protection accrue des investisseurs 

Les informations à destination des investisseurs sont régies à la fois par les règles générales du Code de la consommation, mais également par les dispositions pertinentes du RGAMF (en particulier par l’article 721-10 du RGAMF s’agissant des PSAN agréés).

D’une part, les investisseurs en actifs numériques bénéficient de la protection assurée aux consommateurs, résultante du Code de la consommation. L’article L.111-1 du Code de la consommation impose une obligation d’information claire, lisible et compréhensible des consommateurs, s’agissant notamment des caractéristiques essentielles d’un service, en ce compris s’agissant de ses risques. Par ailleurs, l’article L.121-1 du même code condamne les « pratiques commerciales déloyales » car contraires aux exigences de diligence professionnelle et altérant ou étant de nature à altérer de manières substantielle le comportement économique du consommateur. Une pratique commerciale trompeuse, définie à l’article L.121-2 du même code, est considérée comme une pratique déloyale. Ainsi, une information trompeuse (par exemple, le fait de faire croire ou dire clairement que l’on est agréé PSAN alors que telle n’est pas la réalité) est illicite. Dans ces hypothèses, la responsabilité du PSAN pourra également être engagée.

D’autre part, l’article 721-10 du RGAMF vient détailler les règles de communication applicables aux PSAN agréés uniquement. Il appartient ainsi à ces derniers de définir les termes techniques utilisés de manière compréhensible, d’inclure des avertissements « clairs et intelligibles » sur les risques présents, de ne pas travestir, minimiser, occulter certains avertissements importants. Ils sont tenus d’utiliser « une langue usuelle en matière financière aisément compréhensible ». De même, ils doivent indiquer que les rendements passés ne présument pas les rendements futurs. Une transparence est exigée en matière de commissions, honoraires et autres frais. Bien que ces mentions soient applicables aux PSAN agréés exclusivement, il est plausible que dans certaines circonstances, lors de contentieux, certains juges du fonds puissent utiliser ces règles, a minima à des fins interprétatives. En tout état de cause, la plupart des acteurs du marché, PSAN enregistrés2, intègrent d’ores et déjà cet avertissement sur les risques.

3. L’encadrement de la publicité sur actifs numériques
  • La publicité directe pour des actifs numériques est soumise à certaines conditions : 
  • le caractère publicitaire de l’annonce doit être évident et apparaître immédiatement ;
  • l’annonceur doit être clairement identifiable ;
  • la nature des services proposés par le PSAN doit également être identifiable ; et
  • les risques liés aux actifs numériques doivent être mentionnés. 

Le PSAN doit clairement annoncer qu’il réalise une publicité sur des actifs numériques. S’il ne la prodigue pas elle-même, le prestataire de communication devra clairement identifier le PSAN comme l’annonceur de la publicité.

Par ailleurs, les PSAN ne doivent pas minimiser les risques liés aux actifs numériques. Ils doivent donc clairement identifier les risques – ainsi, la publicité ne peut clairement suggérer un gain certain3, et devra par ailleurs préciser si le capital est garanti ou non. En outre, l’utilisation de ces produits ou services ne doit pas être présentée comme un jeu. Il est également interdit aux PSAN de s’adresser directement aux mineurs. Enfin, les mentions légales ou rectificatives doivent être intelligibles et lisibles / audibles. 

Certaines pratiques publicitaires, en revanche, ne sont autorisées qu’au PSAN agréés4.  Il s’agit ainsi du démarchage, du quasi-démarchage, le parrainage ou le mécénat, ayant pour effet la publicité directe ou indirecte de services sur actifs numériques.

En pratique, certains PSAN français ont dernièrement fait évoluer leurs pratiques de commercialisation. Il n’en demeure pas moins que la sensibilisation des acteurs du marché aux règles de communication promotionnelle et de protection des investisseurs est un des enjeux majeurs afin d’assurer la protection des investisseurs particuliers.

Enfin, cette mise en garde doit être mise en perspective avec le projet d’harmonisation des règles applicables aux actifs numériques au sein de l’Union européenne (projet de règlement MICA). Ce texte viendra en effet renforcer la protection des investisseurs particuliers, et assurer un même niveau d’exigence de mise en conformité entre les différents acteurs du marché.

 

1. Listés à l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier

2. A date aucun PSAN n’est agréé par l’AMF

3. L’influenceuse Nabilla Benattia-Vergara a récemment été condamnée par la DGCCRF pour pratiques commerciales trompeuses sur les réseaux sociaux, lors de la promotion de services de formation au trading sur actifs numériques. Il lui était reproché de ne pas avoir indiqué le caractère publicitaire de sa publication et d’avoir induit en erreur le consommateur sur les caractéristiques du service et les résultats attendus de son utilisation.

4. A date aucun PSAN n’est agréé par l’AMF

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* This article is current as of the date of its publication and does not necessarily reflect the present state of the law or relevant regulation.

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